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Dans l’existence, tout n’est pas rose ; même si, à l’époque du Bien-Aimé, dans laquelle nous allons nous situer, on peut dénombrer une bonne douzaine d’enfants royaux. naturels ! Nous ouvrons, ici, un dossier que le hasard mis sous les yeux de Péo (1914-2005).

Le mariage de JACQUES (1730-1783) et d’Anne-Marie LE GRAND de BEAUMONT est béni à Nantes, le 16 mai 1758. Treize ans plus tard, l’épouse introduit devant le Présidial de Nantes une demande de séparation de corps et de biens. Après deux ans d’enquêtes et de réflexion, le tribunal décide que Madame de BAULAC sera enfermée dans un couvent « jusqu’à ce qu’il plaise à son mari de l’en retirer ». Ce qu’il ne fera jamais, étant devenu fou, « carent de sens et de capacité », pour reprendre le jargon de l’époque. Ne nous lamentons pas sur Mme de BAULAC ; elle s’est, très vite, échappée de la pension forcée des « petites Ursules » de Rennes Sur quatre enfants, deux survivent à cette brisure, deux filles, dont l’aînée, ANNE, mariée à notre aïeul, PIERRE-RENE (1754-1828).

Pourquoi cet échec ? Comme souvent, les torts sont partagés. Madame de BAULAC est une enfant gâtée avec un mari à ses pieds ; elle est irascible, comme celles qui n’ont pas assez vite ce qu’elles désirent. Elle aime exhiber ses bijoux, ses dentelles et ses robes (une bonne quarantaine) ; elle passe pour la mieux mise de Châteaubriant. La coquetterie d’une épouse n’est-elle pas un plat de choix offert à la générosité et à l’amour-propre de son mari ? Et si BAULAC aime les jolies choses, tant mieux pour sa femme ! Mais, BAULAC semble surtout aimer les cuisinières.. Madame s’en aperçoit vite, les chasse les uns après les autres; cinq en quinze mois! « Monsieur de BAULAC étant à table avec son épouse avoit lair de mauvaise humeur que Madame étoit obligee de lui dire de relever son chapeau quil mettoit sur ses yeux et que lorsquil étoit a la cuisine il etoit toujours gaye… »

La situation se dégrade lorsque vient atterir dans les parages un aimable monsieur, marié, vaguement cousin. Monsieur de LA MARCHE est son nom. Les BAULAC l’invitent beaucoup. Madame déclare : « J’aime LA MARCHE comme mon père parce qu’il lui ressemble. Le nouveau venu accompagne Madame « dans toutes les assemblées ». Avec lui elle « apprend le houist », ce qu’elle n’avait jamais voulu faire avec son mari. Alors, Châteaubriant jase. Ne les voit-on pas toujours ensemble dans les coins peu fréquentés de la ville. Les querelles familiales sont fréquentes ; on s’injurie, on se menace. Madame est vue « portant le poing à la gorge de Monsieur ». La domesticité ne sait plus à qui obéir, ne sait plus quoi faire. Monsieur annule les ordres de Madame et réciproquement. Un bon petit enfer en train de mijoter.

BAULAC prend l’idée d’installer son monde à Nantes, au moins la moitié de l’année. Diversion heureuse, il semble. Madame est enchantée de quitter son trou de Châteaubriant. Grâce à des relations l’appartement est vite trouvé et Madame rejoint Nantes à cheval avec ses deux filles et un jeune domestique ; notre grand’mère, en croupe derrière sa mère, la petite Adélaïde (deux ans) dans une corbeille accrochée à la selle du valet. Si BAULAC est resté derrière pour ses affaires, LA MARCHE, lui, a suivi ! (sa femme est morte, dit-on, de chagrin…) et déniche un pied-à-terre à côté des BAULAC.

Madame mène la grande vie, n’a jamais assez d’argent, se met à vendre ses robes, l’une d’elles aboutit pour 60 livres chez le curé de Saint-Laurent pour faire des ornements. Les commérages recommencent. Plusieurs fois, BAULAC surgit pour ramener à Châteaubriant femme et enfants. Toujours le même refus, malgré les menaces « Je vous ferai coffrer. Savez-vous que vous passez pour la plus grande putain de Nantes ! » Madame de BAULAC sait s’évanouir quand il faut ou bien verrouille sa porte et son mari rejoint Châteaubriant, bredouille. On raconte que Madame de BAULAC attend un enfant des œuvres de Monsieur de LA MARCHE. On se met à dénombrer au moins deux enfants illégitimes de Monsieur de BAULAC, lequel semble se consoler des incartades de sa femme, à sa façon.

Un beau jour, Monsieur obtient un arrêt du parlement, ordonnant à Madame de BAULAC d’aller s’enfermer dans un couvent à désigner par Monseigneur de Nantes et vient récupérer ses filles. Encore faudrait-il connaître une abbesse ayant de la place. Pas facile en ce moment. Madame de BAULAC se cache, en attendant, chez des vieilles filles avec sa domestique, l’avocat faisant le guet. Impossible à Monsieur de découvrir son refuge. De sa retraite, elle introduit une demande de séparation de corps et de biens. Elle écrit au ministre de la Maison du Roi, le duc de LA VRILLERE, pour qu’il empêche l’exécution d’une lettre de cachet au cas où son mari en demanderait une à son encontre et lui dénonce combien elle a souffert de la « crapule, de la débauche, de l’avarice et de la brutalité de son mari ». Au tribunal Monsieur et Madame envoient leurs témoins, une bonne quarantaine chacun, de tous les milieux. On apprend où et avec qui Monsieur « a commis l’action charnelle », où et avec qui (LA MARCHE, bien sûr!) Madame « a fait le mal » — voyez les nuances, selon le sexe du coupable — Tout cela se termine par le maintien de Madame au couvent.

Combien fera-t-elle de couvents ? lorsque l’on vient solliciter son acceptation pour le mariage de sa seconde fille, l’abbesse des Petites Ursules à Rennes, mère de LA BILLIAYS, répond « que Madame de BAULAC est partie il y a six ou sept ans sans savoir où elle est présentement ». Pendant que Monsieur de BAULAC passe les trois dernières années de sa vie en reclus et dans un état de démence avancée (remord ? chagrin ?), Madame, vers 1776 donc, s’est échappée, sans doute pour se réfugier près de son vieil ami. LA MARCHE décède en 1787. Comment Madame de BAULAC passe-t-elle les dernières années de son existence ? Les dernières nouvelles nous arrivent en 1792 par les petites annonces d’un journal rennais. La « citoyenne BAULAC » cherche à louer un étage de l’hôtel de Monsieur de LA MARCHE, dont elle a dû hériter ! Pour mourir, il lui faudra sortir de l’anonymat. Elle décède à Rennes, le 27 mars 1808.

Sa fille ANNE, redisons-le, mariée à PIERRE-RENE (1754-1828) connaît le bonheur, mais pas pour longtemps, puisqu’elle meurt en couches, à 26 ans, après onze ans de mariage. La seconde, ADELAIDE, se marie à Charles-Vincent du BOISGUEHENNEUC, lequel émigre. ADELAIDE demande le divorce pour épouser un corsaire nantais, Baptiste CANDEAU. Élle s’en sépare. Puis nous perdons sa trace. Charles-Vincent rentre d’émigration pour retrouver femme et biens envolés et Baptiste, lui aussi, est logé à la même enseigne. À moins que l’épousée ait quitté le second pour revenir au premier ?

Source: Les Le Bastart de Villeneuve, 1977, Pierre Le Bastart de Villeneuve (1914-2005)